Ce n'est pas trop le genre de cri que j'ai l'habitude de pousser mais on voudra bien me le pardonner puisque le chef du restaurant Alexandre (un conquérant aussi) à Garons près de Nîmes a pour patronyme Kayser (et pour prénom Michel). Allez dans un restaurant à étoiles est comme une petite liturgie qui se médite et se mérite. Nous étions plusieurs à avoir envie, depuis un certain temps, d'aller chez Alexandre et nous avons fini par trouver une date convenant à une dizaine d'entre nous.

Avant de venir j'avais glané quelques renseignements sur la trajectoire du chef : arrive en 1984 de sa Lorraine natale où il a appris le métier auprès de Pierre Sternjacob (qui est toujours aux fourneaux dans son restaurant familial Albert-Marie à Rosbruck, près de Forbach) pour seconder Paul Alexandre et dès 1986, à trente ans, il lui succède ; le Michelin le distingue par une première étoile dès 1987 ; la seconde étoile est venue en 2007, entre temps Michel Kayser et son épouse ont imprimé leur marque sur ce lieu dont ils sont devenus récemment les seuls propriétaires en faisant appel à de talentueux artisans locaux.

Nous nous y retrouvâmes donc le 1er février 2009, un dimanche pluvieux et venteux, pour le déjeuner. Le bâtiment couleur rouge brique est situé en bordure de Garons, l'espace intérieur n'est pas resserré d'autant que de larges baies donnent sur le parc et verger où il fait bon être quand le temps s'y prête. Dans la zone de réception une fantaisie décorative se déploie sans aller jusqu'au délire sous les plafonds blancs : mobilier en fer forgé ou en tôle et velours aux vives couleurs de rouge ou de violet, tableaux et compositions aux volutes baroques. La salle dont un des murs est constitué de galets roulés montés en strates est le lieu où s'exerce le talent de Monique, l'épouse du chef, qui nous réserve un accueil attentif. Vaisselle, verres, nappes et tout ce qui concourt aux arts de la table est choisi avec soin.

Nous choisissons le menu dégustation qui comporte sept étapes depuis la salade de langoustines crues à l'écrin de gourmandises sans compter les petites préparations apéritives et autres mises en bouche. Voyons les détails de ce qui nous fut servi et les vins que nous avons choisis en dialogue avec Lionel Delsol, le sommelier.
 

Avant les deux entrées figurant au menu nous arrive une rafale de préparations apéritives et de mises en bouche que nous accompagnons par un blanc fruité et frais (VdP du duché d'Uzès, cuvée Orénia 2007 de Philippe Nusswitz avec un équilibre plaisant entre la roussanne, la marsanne et le viognier) : une madeleine à la tapenade simple et goûteuse puis un petit flan de foie gras sur une croustille à la pomme ; cette première salve est suivie d'une très belle composition avec un mousseux surmonté d'une lamelle d'oignon séché formant un panache posé sur une galette fine le séparant d'un flan à base d'oignon fumé puis arrive une préparation simple aux saveurs d'ici formée d'un petit pain à la tomate et sardine avec un filet d'huile d'olive des Costières. La dernière mise en bouche est faite d'une charlotte à la truffe surmontée d'une rondelle faite de spaghettis de pomme de terre parsemée de brisures de truffes et enrobée de crème fleurette parfumée à l'huile de truffe ; changement de vin à ce moment : un floral et minéral vin d'Alsace prend le relai (AOC Riesling, Clos Mathis 2005, Ostertag).


Nous entrons dans le menu avec une salade de langoustines crues assaisonnée à la ciboulette (de notre jardin) et huile d'amandes/topinambours cuits au lait fumé et son écume, belle préparation aux saveurs subtiles et délicates s'harmonisant bien avec la cuvée de ce grand vigneron qu'est Ostertag. Nous poursuivons par une seconde entrée et changeons de vin : île flottante aux truffes sur un velouté de cèpes des Cévennes dont les saveurs puisssantes se confrontent au boisé assez marqué et à la belle maturité du Mâcon Villages du domaine de la Bonfran, cuvée Tradition 2002, domaine Quintaine-Thévenet.

Le premier plat est un turbot en cuisson lente avec un risotto de céleri et pomme granny parfumée à la canelle servi avec une sauce où on ressent une touche un peu vinaigrée parmi d'autres saveurs ; nous l'accompagnons d'un Pouilly-Fuissé, cuvée Tête de cru 2005, domaine J.A. Ferret dont le boisé ressort peut-être un peu trop.

Un sorbet betterave et mousseux de truffes vient apaiser les papilles avant d'aborder le second plat : tournedos de chevreuil rôti avec une béarnaise à la pomme cidre et pomme dauphine au grué de cacao. Le vin choisi est le régional de l'étape puisque nous arrive, prélablement carafé, le Costières de Nîmes du château d'Ors et de Gueules, cuvée Trassegum, 2007 d'un beau toucher de bouche, frais, tanins fins et notes de cerise et fruits mûrs.
 

Nous grappillons ensuite dans l'offre des nombreux fromages dont des chèvres et brebis très bien affinés qui s'accordent magnifiquement avec le Pouilly Fumé, 2004, de Didier Daguenau, précis, frais aux notes de bourgeon de cassis et d'acacia.

Les desserts s'annoncent par un trio de mignardises posées sur un support laqué rouge pétant : une tartelette aux lychees et hibiscus, un macaron au café et un croustillant au chocolat et réglisse qui nous préparent à l'apparition du grand chariot des desserts qui s'ouvre en éventail pour offrir une profusion de tentations. Cet orgue à desserts est en soi un spectacle qui peut provoquer un effet de sidération et dont les photos évoquent difficilement la variété des propositions. Pour ma part, mon choix s'est porté sur une mousse aérienne avec des raisins macérés au vieux marc de Gigondas, une glace à la réglisse et une tuile au citron. L'arrivée sur la table d'un Jurançon, domaine Cauhapé, Ballet d'octobre 2005 d'une sucrosité sans excès parfaitement équilibrée par une belle acidité parut tout naturelle pour compléter le défilé des vins venus d'une cave de belle ampleur.


Avec les cafés quelques petites gâteries nous furent aussi servies : guimauve à la fleur d'oranger, caramel au sel et nougat. Nous eûmes aussi le plaisir en fin de repas de recevoir la visite du chef que nous avons félicité pour ce magnifique repas où la sophistication des préparations est au service des saveurs vraies des produits où ceux de la région ont la part belle. Un chef qui professe « on ne triche pas avec les légumes, ce sont eux qui dictent les saisons » mérite sans nul doute que l'on soit attentif à sa cuisine comme il est attentif à ses clients qu'il traite en hôtes et amis davantage que comme clients. Il est juste aussi de mentionner que le service est attentif et précis et que la digestion de ce repas qui peut sembler copieux se fit sans problème.




Restaurant Alexandre (Michel Kayser)
2, rue Xavier Tronc
30128 Garons

04 66 70 08 99
restaurant.alexandre@wanadoo.fr
le site Internet est de grande qualité, généreux (recettes) et donne le contenu de la cave à vins


Remerciements à Daniel Roche et Alain Houssat pour plusieurs des photos de ce billet