Il serait injuste à mon sens de ne pas rendre un juste hommage à Alain Resnais, disparu récemment à l'âge de 91 ans après avoir livré son dernier film Aimer, boire et chanter qui est une petite merveille de fraîcheur, de malice et d'invention. À son habitude, si on peut dire, Alain Resnais a encore inventé un dispositif différent de ceux de tous ses autres films pour une comédie douce amère adaptée d'une pièce de théâtre anglaise sans chercher à gommer la source théâtrale.

Les dessins représentants de manière stylisée  les lieux où se passe chaque scène scandent le film et apportent une touche de fraîcheur et d'ironie avant que la caméra ne découvre un décor stylisé dans lequel évoluent les comédiens. Jamais nous ne verrons un décor réaliste tout au long du film, sauf les raccords filmés dans la rue ou la campagne. Alain Resnais impose la fiction comme constitutive du film.

Me reviennent mes souvenirs des premiers films de Resnais que nous avions programmés au début des années 60 lorsque j'étais co-animateur du C.C.C., le Ciné club chimie, à l'École de chimie de Toulouse. Les cours métrages d'abord : Guernica (évocation à travers le célèbre tableau de Picasso de l'anéantissement de ce village basque par l'aviation allemande pendant la guerre d'Espagne), les Statues meurent aussi (l'art africain sous un regard anti-colonialiste, réalisé avec Chris Marker et censuré plus de dix ans), le Chant du styrène (qui avec l'aide de Raymond Queneau pervertissait le genre du film documentaire d'entreprise), Toute la mémoire du monde (sur la Bibliothèque nationale), Nuit et bouillard (qui a eu des ennuis prolongés jusqu'en …. 1997 avec la censure en raison de la présence d'un gendarme français dans une image d'archive montrant le camp de Pithiviers).

Me revient le choc de la découverte de Hiroshima mon amour en 1959 avec cette prose incantatoire de Marguerite Duras, la musique précise et lancinante de Georges Delerue et de Giovanni Fusco, les images magnifiques de Sacha Vierny et de Takahashi Michio. Difficile de s'en remettre. Je reverrai ce film au moins huit fois dans les dix années qui suivirent et suis près à le revoir encore.

Les films suivants imposèrent la richesse d'invention d'Alain Resnais qui remet en cause à chaque tournage la forme et le fond de son cinéma : depuis L'Année dernière à Marienbad en 1961 et Muriel en 1963 jusqu'à Aimer, boire et chanter tourné en 2013. Entre temps Resnais aura exploré une certaine forme de psychologie des profondeurs avec Providence en 1977 ou L'Amour à mort en 1984 et déployé une obsession de la mort, de la maladie, du suicide avant d'en venir à des fllms plus clairs tirés de pièces de théâtre ou d'opérettes qui fonctionnent un peu comme un exorcisme de ses inquiétudes quant au devenir de l'humanité et de la mort : depuis Mélo en 1986, Smoking/No smoking en 1993, On connaît la chanson en 1997, Pas sur la bouche en 2003.

Adieu l'artiste et merci pour tous ces cadeaux.