Franc succès pour le Slow soupes festival organisé par Slow Food Languedoc ce vendredi 12 janvier en fin de journée au resto self du Mas des Moulin. Pas moins d'une vingtaine de participants, membres de Slow Food et sympathisants, qui avec sa soupière, qui avec sa cocotte, qui avec son réchaud, qui avec son thermos et une quinzaine de soupes de toutes saveurs et de toutes textures que l'on aura eu plaisir à déguster, chaque soupe étant tour à tour partagée. On s'y attendait un peu quand on connaît l'attachement des Français à la soupe, même s'il se teinte parfois d'amour-haine dans l'enfance. Un compte rendu succinct se trouve dans le site du convivium Slow food Languedoc et un petit livret des recettes sera bientôt disponible auprès des animateurs.
On ne compte plus le nombre de locutions et d'expressions où figure le mot soupe depuis qu'il est apparu à la fin du XIIème siècle sous la forme soppe puis sope venant probablement du bas latin d'origine germanique suppa et désignant alors la tranche de pain arrosée de liquide (bouillon, lait ....) ainsi que les herbes qu'on y mettait. Vers le milieu du XIVème siècle la soupe a pris son sens actuel : bouillon épaissi par des tranches de pain ou des aliments solides non passés. À distinguer donc de potage, apparu vers 1240 et venant de pot pour désigner les légumes cuits au pot et dont le sens a évolué pour évoquer le bouillon dans lequel on a fait cuire des aliments solides le plus souvent coupés fins ou passés. La soupe est, selon la tradition jusqu'au début du XVIIIème siècle, plus consistante et moins raffinée que le potage considéré comme plus noble. La différence tend ensuite à s'estomper et l'on emploie de nos jours indifférement l'un ou l'autre mot (cela apparaît nettement si on regarde le Grand Dictionnaire de cuisine d'Alexandre Dumas qui date du milieu du XIXème siècle et dans lequel il n'y a pas d'entrée pour le mot soupe mais uniquement pour potage, et aussi pour bouillon, et où il donne aussi bien des recettes intitulées "potage" que "soupe" dans le même article).
Parmi les mots dont l'acception est proche de potage et soupe, on citera : bouillon, consommé, garbure, gaspacho, velouté, panade, bisque, julienne, minestrone. Il me semble que, de nos jours, la dichotomie populaire/distingué (ou grossier/raffiné) se manifeste par l'emploi de termes comme soupe et potage, d'un côté, et, de l'autre, par des termes comme consommé et velouté, surtout lorsque le marketing des marques et des restaurateurs s'en empare. Pour en finir avec Alexandre Dumas notons qu'il ne prend pas vraiment la peine de définir soupe, ni consommé, ni bouillon mais qu'il se fend d'une définition pragmatique pour potage : on appelle potage toute nourriture destinée à être servie dans une soupière et à ouvrir le repas.
Escoffier dans son Guide culinaire emploie le terme générique de potage et tente de mettre de l'ordre dans les termes et les pratiques. Il distingue entre les potages clairs et les potages liés. Les premiers sont des consommés clairs ou parfois très légérement liés au tapioca et ne comportant qu'une sobre garniture. Sous le terme potages liés, il distingue cinq genres bien distincts : les purées, coulis ou bisques (liaison par un féculent : riz, pain frit, légume) ; les crèmes et les veloutés (liaison à base de roux blanc complétée par une liaison finale qui diffère dans les deux cas) ; les consommés liés et enfin les potages liés spéciaux. Mais il s'empresse dans l'exposé des recettes de troubler l'ordre ainsi établi en ajoutant deux catégories dont l'une nous intéresse directement car elle concerne les soupes et potages qui relèvent directement de la simple cuisine bourgeoise et des différentes cuisines locales (ce sont ces recettes qui nous sont les plus familières et on notera que ce n'est que là qu'Escoffier veut bien utiliser le terme de soupe) et il regroupe toute une série de préparations sous la rubrique de soupes et de potages étrangers.
Soupes et potages touchent au plus profond de l'inconscient des peuples et des individus. Une fois franchie l'étape de l'allaitement, éventuellement prolongée par celle de la bouillie, leur consommation est à la base de l'éducation du jeune bipède. Qui ayant reçu une taloche pour avoir refusé de manger sa soupe (une cuillère pour maman, une cuillère pour papa), ne sera pas, quarante ou cinquante ans plus tard, empli de nostalgie en sentant les effluves d'une soupe qui lui rappelle cette même soupe qu'il qualifiait de soupe à la grimace et contre laquelle il pestait in petto voire ex petto. L'âge venant, on est moins soupe au lait et on ne crache plus dans la soupe même si on la mangerait plus facilement sur la tête de ceux ou celles qui nous forçait à l'avaler.
Le mot soupe, bien plus que le mot potage pour lequel le nombre d'expressions recencées est bien moindre, véhicule tout un cortège de représentations sociales : ainsi on peut aller à la soupe ce qui n'empêche pas, au contraire, de la servir à quelqu'un ; il n'est pas impossible, ce faisant, de croiser un gros plein de soupe qui vous regardera avec mépris si vous êtes trempé comme une soupe. Il me reste à espérer que toutes ces remarques ne viennent pas comme un cheveu sur la soupe.