La manière dont un film trouve son public est quelquefois bizarre. Mondovino, qui ne concerne au sens strict que les buveurs de vins, tribu en voie de contraction numérique, même si la valeur unitaire de ce qui est bu augmente, a fait un tabac (si on peut dire) et a eu une carrière débordant largement sa cible. La confrontation qu'il met en scène entre une viticulture normée, mondialisée, standardisée et quelque peu uniformisée, même en ce qui concerne le haut de gamme (symbolisée par son œnologue gourou, Michel Rolland, adepte du micro-bullage et d'élevages poussés, sautant dans un avion pour distiller les mêmes conseils aux antipodes) et une viticulture de tradition, ancrée dans le terroir et attentive aux saisons, respectueuse des sols et du temps (symbolisée par Aimé Guibert, créateur du domaine Daumas-Gassac, qui mena le combat contre l'implantation de Mondavi à Aniane ou par Hubert de Montille brandissant haut et fort la tradition bourguignonne) a visiblement répondu à une attente. Le film fonctionne sur une dramaturgie efficace et les entretiens que mène le réalisateur, Jonathan Nocifer, dévoilent beaucoup plus que ne veulent bien dire ceux qu'il interroge. D'où ce succès conforté par des débats passionnés, un bouche à oreille efficace qui en a fait un sujet de conversation obligé des dîners en ville (et à la campagne) y compris pour ceux ou celles qui ne boivent pas ou peu de vin.

Rien de tel semble-t-il pour un film qui, à priori, devrait concerner beaucoup plus de monde, puisque, mis à part les anorexiques et les grévistes de la faim, chacun est concerné par la nourriture. Il s'agit du film de l'Autrichien Erwin Wagenhofer exploité sous le titre We feed the world, sous-titré Le marché de la faim. Sorti en pleine campagne électorale pour les présidentielles, il est passé relativement inaperçu alors que c'est le film même qui devrait susciter des débats passionnés par sa dénonciation au vitriol des ravages de l'agriculture industrialisée, des conséquences écologiques et sociales désastreuses de l'exploitation intensive des terres et des océans, des transports sur des distances insensées de fruits et légumes dont la qualité principale (au-delà de la séduction visuelle) est la transportabilité et la résistance aux manipulations de mise en marché alors qu'ils sont de qualité gustatives et nutritives médiocres.

Le film part de quelques exemples emblématiques : le pain non vendu et jeté chaque jour à Vienne en quantité suffisante pour fournir les besoins de Graz, la seconde ville d'Autriche, le paysage totalement couvert de serres près d'Alméria où une main d'œuvre immigrée corvéable à merci permet de produire des légumes sous perfusion en culture hors sol à des coûts tels qu'ils parviennent par des norias de camions à 3000 km de là au prix d'une consommation énergétique et d'une pollution insensée, la déforestation massive au Brésil au bénéfice de grosses exploitations exportatrices de soja sans profit pour les populations démunies et souffrant de malnutrition de ce pays et cela pour nourrir le cheptel européen ....

Le film identifie clairement les responsables : les grandes firmes de l'agroalimentaire qui dominent le marché mondial et imposent un modèle qui ruine les petits paysans des pays non développés lesquels viennent grossir les bidonvilles des mégalopoles de ces pays, ces mêmes firmes qui, avec le soutien des états des pays développés par le biais des subventions à leur agro-industrie, obéissent à une seule logique : la course aux profits financiers pour la seule satisfaction des actionnaires et du haut management de ces firmes. Reste à imaginer comment, en tant que consommateur, sortir de ce piège dont un des éléments est bien sûr la grande distribution qui est un des moyens les plus efficace de mise à disposition à prix imbattables des produits de cette agro-industrie mondialisée.

Que sommes-nous prêt à faire, vous et moi, ici et maintenant, pour trouver des producteurs locaux, pour échapper à la tentation (et souvent à la déception) du hors saison, pour arpenter les marchés sous la chaleur ou la pluie plutôt que de sauter de la voiture garée sur le parking de l'hyper (bien commode pourtant) et s'engouffrer en poussant un chariot dans la galerie climatisée ?

En attendant, vous pouvez encore voir le film dont je parle au Diagonal Capitole où il est programmé jusqu'au 5 juin.

Vous pouvez aussi vous intéresser aux activités proposées par Slow Food à Montpellier ou ailleurs ou vous fournir en produits fermiers frais et de qualité chez Terroir direct , il vous suffira de récupérer votre commande dans un des points de dépôt proche de chez vous.