Je me rends volontiers avec des amis, une à deux fois par an, à Céret. Cette petite ville proche de Perpignan est un haut lieu de la peinture du XXème siècle. Elle est pleine de charme avec son plan en anneaux concentriques tournant autour de l'église et ses énormes platanes qui dominent les places et les toits. Le musée d'art moderne organise au moins deux expositions par an toujours pertinentes et en rapport, le plus souvent, avec des peintres ayant séjourné à Céret. Je ne vois plus cette ville de la même façon depuis l'exposition de l'été 2000 des toiles que Soutine y a peintes au cours des trois ans de son séjour au début des années 20 : leur violence hallucinée et tellurique impose un regard différent.

L'exposition de l'hiver 2006-2007 (jusqu'au 18 février) rassemble une centaine d'œuvres de Maurice Loutreuil (1885-1925) qu'on a coutume de rattacher à l'École de Paris (Montparnasse). Peu connu, de caractère indépendant, considéré comme insoumis, Loutreuil n'a pas connu le succès comme certains de ses contemporains. Il laisse une œuvre fortement structurée, sa palette est subtile, très travaillée aux teintes sourdes. Le portrait et le nu dominent mais ses natures mortes et ses paysages sont dignes d'intérêt. L'exposition évoque le séjour de Loutreuil à Céret en 1919 en compagnie d'André Masson et montre les thèmes qu'il y a traités. Ses œuvres sur papier témoignent de son habileté et de sa rapidité. Ses dernières toiles, peintes au cours d'un séjour en Afrique dégagent une impression de force et de sérénité.

Pas de visite à Céret sans goûter la cuisine locale. Quelquefois je me contente d'une simple tartine de pain et tomate (à la catalane) avec du jambon de montagne à la terrasse du Pablo. Cette fois j'avais repéré dans le dernier numéro de Terre de Vins, consacré à la gastronomie du cochon, un reportage aux photos et recettes alléchantes sur l'auberge de Nidolères qui est aussi une vitrine des vins du domaine de Nidolères (Terre de Vins, n°33, p.40). Rendez-vous fût pris et au sortir du musée nous fûmes aimaiblement accueillis sur le coup de 13h à l'auberge par Martine Escudié. Nous voilà choisissant nos plats dans le menu à 30 euros (¼ de vin compris). Ce jour-là : en entrée, salade de pieds de porc, baies roses, roquette, champignons et vinaigrette au boudin noir ou anchois marinés et poivrons avec pain et tomate ; en plat, des boletas de picoulat (un grand classique de la cuisine catalane) ou un délicieux filet mignon au safran ; des desserts simples et goûteux, fromage manchego avec des coings confits ou un fondant au chocolat ou une crème brûlée. Excellent accord des entrées et du filet mignon avec un grenache blanc magnifique de minéralité, avec des arômes de noisette (VdP des Côtes catalanes, 2005) cependant qu'un mourvèdre brut de cuve 2006 (destiné à l'assemblage de la cuvée Raphaëlle) proposé par Pierre Escudié se révéla très prometteur avec son grain serré et ses notes de petits fruits rouges ; pour compléter le panorama des vins du domaine nous goûtâmes la cuvée La Pierroune 2005 (syrah majoritaire) gourmande avec ses notes de cassis. Difficile de finir le repas sur le fondant au chocolat sans être tenté par le Vieux Rivesaltes 1976 de couleur marron ambré qui n'a pas déçu notre attente : arômes profonds de moka, notes rancio, fruits secs et jolie acidité. L'Auberge du domaine de Nidolères est à 4 km du Boulou en direction de Perpignan, près de la N9 (04 68 83 04 23 ou 04 68 83 15 14), cadre rustique où la couleur verte est reine, murs couverts de documents, planches et photos en rapport avec les fruits, les légumes et la vie rurale, tonnelle. Un menu aux sauces aigres douces est proposé avec un verre de vin doux naturel différent à chaque plat.

Retour à la fin de l'été 2006. Nous étions allé voir l'exposition que le musée d'art moderne de Céret consacrait alors à Bioulès sous le titre Vincent Bioulès ESPACE ET PAYSAGE 1966-2006 avec pour sous-titre Un voyage à Céret. Voici ce que j'en écrivais : "j'en sors impressionné par la force terrienne (quasi tellurique) de ce peintre né et vivant à Montpellier et qui nous restitue les lieux et paysages qui font l'objet de cette exposition. Les structures puissantes et les riches textures qui marquent ses toiles figuratives sont véritablement révélées par la juxtaposition avec ses toiles plus anciennes du temps où il appartenait au mouvement Supports-Surfaces que l'accrochage de l'exposition ménage tout au long avec une certaine pertinence."
Le restaurant que nous avions choisi cette fois-là était Les Feuillants situé au centre de Céret (1, boul. La Fayette 66400 Céret 04 68 87 37 88). C'est une belle demeure bourgeoise de la fin du XIXème siècle qui était la résidence d'un général (à l'époque où on veillait sur les frontières). La grande salle est haute de plafond et possède une grande cheminée de marbre rouge à laquelle s'assortit une moquette rouge sang, en fond de salle un grand tableau de Michel Becker (Apocalypse) ne manque pas d'allure, quelques belles pièces de mobilier dont un grand paravent de bois Modern Style. Les Feuillants sont établis ici depuis 1985 date du rachat des murs à l'État. Le chef actuel est David Tanguy qui a fait ses classes avec Robert Abraham, chef bien connu qui est passé par le Franklin à Saint-Malo et quelques autres maisons réputées. Nous avons opté pour le menu à 35 euros intitulé « Ici et ailleurs, métissage de saveurs... ». Un amuse bouche fait d'une sardine marinée posée sur des agrumes confits nous permit de patienter en attendant l'entrée tout en mettant en bouche le premier vin (VdP des côtes catalanes, domaine Ferrer-Ribière, grenache gris, 2001 : jaune doré, légérement oxydé, miellé, belle minéralité) s'accordant bien avec les entrées choisies : sur un tartare de tomates anciennes, saint-jacques grillées à la fleur de sel, sauce soja ou terrine de foie gras de canard mi-cuit, petit pot de crème aux saveurs régionales et brioche maison. Les plats font l'objet d'une présentation élaborée mettant en œuvre des épices concassées, des pétales de fleur, des poudres, des traînées en zigzag de sauces, des petits pots, des verrines, des tuiles, des planches, de la faience noire .... On retrouvera cette façon de faire pour les plats suivants : filet de bœuf rôti, crêpe de pommes de terre aux herbes fraîches, mousse de brebis et pourpier pour les uns et filet de dorade grillée, poëlée d'encornets aux olives de Lucques et fenouil confit au curcuma pour les autres. Bon accord du Côte du Roussillon villages du domaine Piquemal (cuvée Terre brûlée, 2002, rubis intense, fruits cuits, épices, opulent, notes fumées, rond et ample avec une belle structure) avec le filet de bœuf. En dessert nous avons bien apprécié le tiramisu maison de pêches à la verveine, glace vanille bourbon ou l'assortiment de petits verres glacés. La carte des vins est de belle venue avec une belle part de vins de la région. Les verres utilisés sont ceux de la cristallerie Hartzwiller. Ne pas manquer d'aller au sous-sol voir la très riche collection de vieux Maury, Banyuls et autres Rivesaltes. Le service en salle est assuré par le serviable et volubile Frédéric Szentes qui se fait un plaisir de parler des vins qu'il propose.
La prochaine exposition du musée d'art moderne de Céret sera consacrée au peintre Othon Friesz, natif du Havre, et connu essentiellement pour son rôle dans le fauvisme même si cet engagement dans cette voie n'a duré que deux ans au plus. Sous le titre « Othon Friesz, le fauve baroque, 1879-1949 , on découvrira donc un autre Othon Fiesz à Céret du 23 juin au 30 septembre 2007. Je me propose d'y aller voir et continuer à explorer les bons restaurants du coin.